L'A.G.C.S. est un accord international qui met en place des règles générales de libéralisation du commerce des services. Qu'entend-on par libéralisation ? La suppression des lois qui limitent le commerce. Une première partie de l'A.G.C.S., nommée accord cadre, a été conclue à la création de l'Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.) en 1994. Elle contient les règles générales de libéralisation qui sont applicables à tout domaine de service de l'A.G.C.S. L'O.M.C. organise des négociations régulières pour intégrer des domaines de services sous la coupe de l'accord cadre. Chaque nouvelle entrée de services est négociée par les pays membres de l'O.M.C.. Dans les termes de l'A.G.C.S., ce sont les engagements1. La liste des engagements pris à chaque période (ou round en anglais) des négociations constitue la deuxième partie de l'A.G.C.S.. Chaque round se termine par une réunion de l'O.M.C. : en 1999 ce fût la réunion de Seattle aux U.S.A., en 2001 celle de Doha au Quatar, en 2003 celle de Cancun au Mexique. En résumé, les règles générales de libéralisation sont fixées dans l'accord cadre, tandis que la liste des engagements, qui comme nous le verrons CI-DESSOUS ne peut que s'accroître, est en cours de négociation. Comme l'O.M.C. est un organisme international, ses règles priment sur les lois nationales.
Ce document donne des informations sur les règles de l'accord cadre de l'A.G.C.S. et ses implications. Tout d'abord, il liste les secteurs concernés et présente l'objectif de libéralisation l'A.G.C.S., il explique ensuite les règles qui visent à interdire les subventions aux services et la notion de traitement national. Dans une seconde partie, des réflexions essaient de dégager un sens à l'A.G.C.S. et de prévoir ces conséquences. Une dernière partie est un appel à la suspension des négociations de l'A.G.C.S. et la mise en place d'un débat démocratique.
Les services concernés par l'A.G.C.S. sont classés en 12 secteurs :
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L'article I, 3, b de l'accord cadre indique que ``tous les services dans tous les secteurs'' sont concernés sauf quelques exceptions qui sont la police, les impôts, l'armée2. Les services qui sont ``fournis sur une base commerciale'' ou `` en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de service'' rentrent dans le cadre de l'A.G.C.S.. ``Sur une base commerciale'' veut dire pour lesquels l'usager paie. ``Avec un ou plusieurs fournisseurs de service'' signifie que plusieurs fournisseurs proposent un même service. Ceci comprend donc les services de l'éducation, de la santé, de l'information, etc, puisqu'un usager peut par exemple s'adresser à un hôpital public ou à une clinique privée pour se faire soigner et qu'il paye pour ce service.
Remarque : L'article I, 3 indique qu'il s'applique à tous les services ``à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental'', donc a priori les services publics. Cependant, il est écrit que cette exemption n'est pas valable si les services sont payants ou font l'objet de concurrence.
Les négociations qui complètent la liste des engagements ont pour objectif la ``libéralisation progressive'' du commerce de tous les services cités plus-haut, où progressive ne veut pas dire lente, mais par négociations successives (Article XIX). Cette libéralisation ouvre l'accès au marché d'un service engagé à tout fournisseur. En termes communs, si un pays a engagé ce service dans l'A.G.C.S., toute entreprise peut s'installer sur son sol pour fournir ce service. Les engagements s'accompagnent de discipline, c.a.d. de mesures, pour contraindre les états à respecter leurs engagements. Si l'état ne s'y conforme pas, il peut pour cela être attaqué par un autre état devant le tribunal de l'O.M.C. qui s'appelle l'Organe de Règlements des Différents (O.R.D.). Par exemple, les États-Unis et le Canada ont porté plainte contre l'Union Européenne (U.E.) pour son refus d'importer du boeuf aux hormones et cette dernière a été condamnée par l'O.R.D.
L'article VI de l'A.G.C.S. est consacré aux législations nationales. Il dit que les lois et règlements nationaux ne doivent pas constituer ``des obstacles non nécessaires au commerce'' ; par exemple que les exigences de diplôme ou les normes techniques ne doivent pas être des restrictions ``plus rigoureuses qu'il n'est nécessaire pour assurer la qualité du service''.
En cas de litige, l'O.R.D. tranche. Pour revenir à l'exemple du boeuf aux hormones, le tribunal a jugé que l'Europe ne pouvait pas justifier son refus d'importer par le principe de précaution tant qu'elle n'apporte la preuve de la nocivité du produit, et il a condamné l'U.E.
Les trois articles XV, XVI et XVII donnent les règles qui s'appliquent aux domaines de services engagés par un état. L'article XV traite de la notion de subvention qu'un état donne à des services, l'article XVI réglemente l'accès au marché par les fournisseurs, l'article XVII institue le ``Traitement National''.
L'article XV précise qu'une subvention est ``une contribution financière des pouvoirs publics'' ou une ``forme quelconque de soutien des revenus ou des prix ...si un avantage est ainsi conféré.'' La notion de pouvoirs publics comprend toute administration aussi bien nationale que locale. Si une mairie alloue une partie de son budget pour l'entretien des écoles primaires, il s'agit d'une subvention à l'Éducation Nationale. Si l'état verse une quote-part à la S.N.C.F. pour favoriser le transport par train, cela est considéré comme une subvention3.
Les subventions sont considérées comme des entraves à la libre concurrence (par ``libre'', on entend non réglementée). Ainsi, l'article XV donne le droit à un état d'attaquer devant l'O.R.D. un autre état qui subventionne les fournisseurs de service nationaux.
L'article XVI indique qu'un état qui a engagé un service doit en ouvrir le marché sur tout son territoire à tous les fournisseurs de services quelle que soit leur origine. Dans la conception de l'O.M.C., un engagement s'accompagne de levée des restrictions nationales qui s'applique au service engagé. Les disciplines évoquées auparavant sont là pour obliger les états membres à supprimer ses limitations qu'elle que soit leur objet. Elles concernent par exemple le nombre de fournisseurs, le montant des services, les conditions de travail, le nombre de personnes employées, ou bien encore les diplômes requis.
L'article XVII oblige un état à appliquer le même traitement à tout fournisseur, qu'il soit public ou privé. Le traitement comprend les subventions ou toutes autres mesures. Un état qui engage les services d'éducation et qui verse une subvention à son système d'éducation nationale, doit verser la même somme à un fournisseur étranger privé qui s'installe sur son sol.
Grâce à ces articles, un engagement pris dans l'A.G.C.S. entraîne des modifications de la législation nationale.
Les ajouts de services à la liste des services engagés par chaque pays sont négociés entre deux états ou par groupe d'états. Un service une fois engagé ne peut plus faire l'objet de limitations à cause de l'article XVI. Un membre peut retirer un service, mais il doit pour cela offrir une compensation. Cette compensation consiste en l'ouverture à la concurrence (c.a.d. en l'engagement) d'un autre service. Ainsi, si on veut enlever un service, il faut en ajouter un autre. Donc, la liste des services engagés dans l'A.G.C.S. va toujours en s'accroissant. L'A.G.C.S. ne prévoit pas de termes aux séries de négociations qui allongent cette liste.
L'A.G.C.S. promeut aussi l'application des règlements négociés pour un secteur à un autre secteur. Ce transfert de règlement, qui s'effectue sans nouvelle négociations sur l'autre secteur, est appelé approche horizontale. Son but est d'éviter les négociations secteur par secteur. Elle pourrait même s'appliquer à des secteurs non encore engagés.
Après avoir exposé dans les sections précédentes le contenu de l'A.G.C.S. de manière aussi objective que possible, j'en propose ici une analyse personnelle.
Comme nous l'avons vu, l'A.G.C.S. vise la libéralisation du commerce des services par des négociations successives. Comme il ne prévoit pas de terme à ces négociations et que la liste des services engagés ne va qu'en s'allongeant, l'A.G.C.S. aboutira peu ou prou à une libéralisation totale de tous les services concernés. L'A.G.C.S. est quasiment universel tant les secteurs de services concernés sont larges et couvrent presque la totalité de services de nos sociétés. L'A.G.C.S. va donc contribuer, avec les autres accords conclus à l'O.M.C., à soumettre nos sociétés aux seuls objectifs de libre-concurrence, de libéralisation du commerce et de l'investissement. Ce sont les seuls objectifs de l'A.G.C.S. et semble-t'il de l'O.M.C. en général (qui est une institution mise volontairement en dehors du cadre de l'O.N.U.). En effet, l'A.G.C.S. contraint les états à supprimer les lois considérées comme ``plus contraignantes que nécessaires'' pour les entreprises de services, ou à ne pas en promulguer de nouvelles. Or il peut être de l'intérêt d'une société de décider démocratiquement de limiter tel ou tel service pour diminuer la pollution ou améliorer la santé publique, ou encore de subventionner par exemple l'éducation pour favoriser l'insertion sociale. Les buts de l'A.G.C.S. rentrent clairement en contradiction avec les autres objectifs de nos sociétés tels que la liberté des personnes, l'éducation, la santé publique, le développement durable, l'éradication de la pauvreté, la démocratie, etc. Ceci est humainement et moralement inacceptable car le commerce n'est pas une fin en soi.
Par son universalité, l'A.G.C.S. limite énormément la capacité d'un état (ou un groupe d'états tel que l'U.E.) de mener une politique pour aller vers des objectifs autres que la facilitation du commerce des services. En particulier, l'A.G.C.S. ne prend pas en compte la particularité des services publics qui sont depuis leur origine un moyen d'atteindre des objectifs d'égalité par exemple dans l'accès à l'éducation ou aux transports. Puisqu'un état, aussi riche qu'il soit, n'aura jamais les moyens de donner une subvention conséquente à tous les fournisseurs de services installés sur son sol, les articles XV, XVI et XVII interdisent de fait les subventions. L'O.M.C. se donne ainsi les moyens de faire disparaître les services publics.
Pourquoi est-ce un des objectifs de l'O.M.C.? Un service assuré par un service public est une activité dans laquelle aucune entreprise ne fait des profits. Or les services majoritairement publics tels que l'éducation et la santé représentent des marchés potentiels énormes (mondialement, de l'ordre de 2000 et 3000 milliards de dollars chacun). Avec l'élimination des services publics les besoins ne disparaîtront pas et ces services seront privatisés. Ce seront donc des nouveaux marchés pour les entreprises.
Si j'écris ce texte, c'est parce que celui de l'A.G.C.S. n'est pas aussi facile à lire qu'une bande dessinée. Comme on s'en aperçoit dans les citations entre guillemets de la première partie, ce texte est rempli d'ambiguïtés, voire de contradictions (cf. la remarque à la fin de la section 1 sur les services couverts par l'A.G.C.S.). La question importante devient : qui va interpréter ces textes lorsqu'il faudra les appliquer ? C'est l'O.R.D., le tribunal de l'O.M.C., qui tranche. L'O.M.C. est donc juge et partie. On se demande alors quelle est sa légitimité démocratique et pourquoi est-elle en dehors de l'O.N.U.4 ce qui l'obligerait à respecter entre autres les Droits de l'Homme ? On s'interroge aussi sur l'indépendance de l'O.R.D. vis à vis des gens rédigent l'A.G.C.S., sur sa composition et sa représentativité démocratique. Pour prévoir le comportement de l'O.R.D. et donc les conséquences pratiques de l'A.G.C.S., on peut examiner les décisions de l'O.R.D.dans le passé. J'ai déjà donné l'exemple de la décision concernant l'importation du boeuf aux hormones. Parmi les 11 jugements rendus par l'O.R.D., 10 stipulent que les règles nationales étaient trop restrictives pour le commerce5.
Au fur et à mesure que les services seront engagés dans l'A.G.C.S., les conséquences de cet accord vont profondément changer notre vie en pratique et le fonctionnement de nos sociétés en général. On peut se demander si n'est pas contraire à l'A.G.C.S., d'écrire ``Liberté, égalité, fraternité'' sur les frontons de nos mairies. Or à l'heure actuelle en France, en Europe, il n'y a pas de débat démocratique sur l'A.G.C.S.. Nous n'en entendons presque jamais parler, ou alors de manière confidentielle, et ce bien que ses conséquences soient importantes et nous concernent tous. Je lance donc un appel pour :
Nous pouvons obtenir ce débat qui est un minimum dans une démocratie. Les décisions sur l'A.G.C.S. sont l'affaire de tous les citoyens et ne doivent pas être réservées aux experts. Pour montrer que nous pouvons gagner cette bataille, il est bon de rappeler ce qui est arrivé à l'A.M.I.. L'Accord Multilatéral sur l'Investissement, qui est en substance similaire à l'A.G.C.S., fût négocié en secret au sein de l'O.C.D.E. jusqu'en 1998. Après que des organisations non gouvernementales aient dévoilé le pot aux roses, la France s'est retirée des négociations sous la pression populaire et l'A.M.I. fût abandonné.
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Eric Rivals, © 2003 agcs@free.fr